La taxation imposée aux Chinois
Le Canada a adopté sa première Loi de l’immigration chinoise en 1885, la même année où le Premier ministre John A. Mcdonald a réussi à rallier suffisamment d’appuis au Parlement pour une loi sur le droit de vote qui excluait les personnes appartenant à la race chinoise, et tout de suite après la tenue d’une Commission royale sur l’immigration chinoise.
M. le juge John Hamilton Gray, commissaire à la Commission royale, avait recommandé dans son rapport final que le gouvernement fédéral impose une taxe de 10$ à tout homme, femme ou enfant chinois qui débarquerait d’un bateau dans un port canadien. Curieusement, c’était M. le juge Gray qui avait pris une décision précédente déclarant inconstitutionnelle la Chinese Tax Act (Loi de taxation des Chinois) de la Colombie-Britannique, dans Tai Sing v. Mcguire (1878).
Le Parlement est allé un pas plus loin lorsqu’il a approuvé la Loi de l’immigration chinoise le 20 juillet 1885, qui imposait une taxe d’entrée de 50$ aux immigrants chinois au Canada. La Loi dans son intégrité plaçait un fardeau financier inégal sur les épaules des immigrants chinois, cherchait à limiter les nouvelles arrivées et interférait avec le développement de services communautaires qui répondaient au racisme sanctionné par l’État.
Voici certains articles inclus dans la Loi de l’immigration chinoise (1885) :
Art. 4 « … toute personne d’origine chinoise devra payer au Fonds de revenu consolidé du Canada, à son entrée au Canada, au port ou dans tout autre point d’entrée, la somme de cinquante dollars, sauf les personnes suivantes qui seront exemptées d’un tel paiement, notamment, premièrement : les membres du corps diplomatique, ou d’autres représentants gouvernementaux et les membres de leur personnel et leurs servants, les consuls et les agents consulaires et, deuxièmement : les touristes, les commerçants, les scientifiques et les étudiants… »
Art. 5 « Aucun navire qui transporte des immigrants chinois à un port canadien ne transportera plus d’un immigrant de ce type pour chaque cinquante tonnes de jauge ; et le propriétaire de tout bateau qui transporte un nombre supérieur à celui permis par cet article sera paisible d’une pénalité de cinquante dollars pour chaque personne de trop transportée. »
D’autres restrictions
Bien que les deux dispositions de la Loi citées ci-haut sont amplement connues, et considérées aujourd’hui comme étant les aspects les plus discriminatoires de la loi telle qu’elle était utilisée contre les personnes chinoises, d’autres restrictions affectant la communauté sino-canadienne incluaient :
Art. 17 « Toute personne qui prend part à l’organisation de tout type de cour ou tribunal composé de personnes chinoises, pour entendre et trancher au sujet d’une offense commise par une personne chinoise, ou pendant la réalisation d’une telle organisation, ou qui prend part à tout aspect de ses procédures, ou qui présente témoignage devant toute cour ou tribunal de ce type, ou qui aide à mettre en application toute décision par décret ou ordre d’une telle cour ou tribunal, est coupable d’infraction et est paisible d’emprisonnement pour un terme ne dépassant pas douze mois, ou d’une pénalité n’excédant pas cinq-cents dollars, ou les deux… »
L’article 17 était fort probablement la réponse du gouvernement canadien à l’établissement, l’an précédent à Victoria, Colombie-Britannique, de la Chinese Consolidated Benevolent Association (CCBA, Association chinoise consolidée de bienveillance), une initiative communautaire dans le cadre de la lutte pour les droits individuels et collectifs des Chinois au Canada. La CCBA a joué un rôle d’arbitrage de disputes, qui était permis sous la Loi de l’immigration chinoise, au sein de la communauté canadienne chinoise, ainsi que de plaidoirie pour la justice dans ses interactions avec la société plus large.
Des restrictions ont aussi été imposées aux résidents chinois naturalisés ou nés au Canada, qui devaient payer des frais de 50 cents pour s’enregistrer auprès des autorités locales. Les voyages faits par les Chinois à l’extérieur du Canada, après avoir payé les frais d’enregistrement ou la taxe d’entrée, étaient aussi règlementés par le gouvernement.
Les gens ayant payé la taxe d’entrée recevaient des reçus comme preuve de paiement, ainsi que comme document d’identité qui pouvait cependant être remis en question par des agents de douanes, le fardeau de la preuve tombant sur l’accusé.
Un accord a aussi été conclu entre Ottawa et les provinces pour percevoir la taxe d’entrée des Chinois, et il incluait l’embauche d’un recouvreur qui exécuterait les fonctions prévues sous la Loi, un quart de tout l’argent recueilli étant alloué aux provinces par la trésorerie générale.
50$, 100$… 500$ !
La Loi de l’immigration chinoise a été amendée à plusieurs reprises, d’importants changements ayant été introduits en 1900 qui doublaient la taxe d’entrée pour la situer à 100$ et exigeaient que les Chinois qui partaient du Canada reviennent moins d’un an après leur départ sous peine de payer à nouveau la taxe d’entrée à leur retour.
La taxe d’entrée doit avoir créé suffisamment de revenu pour qu’un amendement en 1902 ajuste la part provinciale de la taxe à la moitié de tous les revenus. La Colombie-Britannique aurait été la plus grande récipiendaire de recettes de la taxe d’entrée.
En 1903, la Loi a été amendée à nouveau pour augmenter la taxe d’entrée à 500$. De tels frais ont été considérés nécessaires à l’époque pour arrêter le flux d’immigrants chinois au Canada. Ce fardeau indu imposé aux Chinois au Canada a signifié que de nombreux hommes, qui étaient venus ici pour travailler même avant que la taxe d’entrée n’ait été imposée, ne pourraient jamais amener leur famille au Canada.
La séparation et la dislocation des familles sont devenues une réalité pour de nombreux Chinois au Canada à l’époque. Le fardeau financier de la taxe d’entrée, maintenant situé à 500$ (dont on dit que c’était suffisant pour s’acheter deux maisons à Montréal à l’époque), a appauvri beaucoup de Chinois.
Des amendements supplémentaires ont continué à enrichir les gouvernements fédéral et provinciaux.
Certaines exceptions étaient accordées, alors que d’autres se rétrécissaient. En 1906, on a enlevé une clause qui exemptait les servants des personnes britanniques de l’obligation de payer la taxe si les deux parties retournaient en Chine moins d’un an après leur arrivé au Canada. Deux ans plus tard, seulement les enfants « mineurs » des commerçants et des ecclésiastiques étaient exemptés ; les étudiants ne l’étaient plus, mais les enseignants « dûment certifiés » pouvaient éviter de payer la taxe d’entrée. En 1917, le gouvernement a octroyé des pouvoirs accrus aux recouvreurs de la taxe, donnant aux agents d’immigration le droit d’arrêter, sans qu’il y ait besoin d’un ordre pour le faire, tout Chinois considéré comme séjournant illégalement au Canada.
En 1921, la loi a été modifiée pour stipuler que tout personne d’origine chinoise qui quitterait le Canada sans s’être enregistrée serait assujettie à la taxe d’entrée de 500$, comme ce serait le cas pour une première arrivée. Cette modification ajoutait que l’absence du Canada ne pouvait pas dépasser deux ans, autrement un autre paiement de 500$ serait prélevé au moment de leur retour.
Des restrictions aux voyages
Les Chinois qui résidaient au Canada devaient être circonspects dans leurs déplacements, particulièrement à propos des voyages de retour en Chine pour des raisons familiales ou d’affaires, ou dans le cadre de voyages à d’autres endroits.
En 1919, un Chinois nommé Fong Soon s’est retrouvé devant les tribunaux lorsqu’on l’accusé d’arriver au Canada sans avoir payé la taxe d’entrée. Soon avait payé la taxe en 1901 lors de sa première arrivée, mais en 1918 il a fait un court voyage à l’État de Washington. (Voir Les litiges clés.)
Une cour de la Colombie-Britannique a soutenu que Soon n’était pas tenu de payer la taxe d’entrée à nouveau, et que l’obligation de s’enregistrer pour les voyages à l’extérieur du Canada s’adressaient à ceux qui voyageaient de retour en Chine, et non pas aux Etats-Unis pour une courte période de temps.
Le gouvernement perçoit 23,000,000$
Le gouvernement canadien et les provinces profitaient des épreuves imposées par l’entremise de leurs lois aux Chinois. Les diverses taxes d’entrée perçues pendant 38 ans ont permis au gouvernement de ramasser quelque 23,000,000$. Fait ironique, cette quantité était environ égale au montant nécessaire pour financer le segment ouest du Chemin de fer Canadien Pacifique, construit principalement par des Chinois.
Tout espoir, chez les Chinois qui restaient encore au Canada, de travailler durement pour réunir leur famille a été écrasé en 1923, lorsque le gouvernement fédéral a reçu l’assentiment pour un remaniement de la Loi abolissant la taxe d’entrée et simplement interdisant l’immigration chinoise au Canada.