Une porte reste ouverte pourla réparation
Malgré sa décision contre le recours collectif, M. le juge Cummins a tout de même inclus l’affirmation suivante dans son jugement dans le cadre de Mack v. Canada, livré le 9 juillet 2001 :
« Ces constats ne doivent pas être tenus comme une acceptation des actions des gouvernements canadiens ayant créé et mis en œuvre les différentes formes de la Loi de l’immigration chinoise. De manière toute à fait claire, ces Lois, si elles étaient promulguées aujourd’hui, ne survivraient pas à un examen basé sur la Charte. Selon la morale et les valeurs canadiennes contemporaines, de telles lois étaient tant répugnantes que répréhensibles. La Loi de l’immigration chinoise de 1885 et les lois lui ayant succédé sont devenues des symboles d’une période de l’histoire canadienne tachée par l’intolérance et les préjugés raciaux. »
Il a également exprimé l’opinion que « fort probablement le Parlement devrait prendre en considération l’octroi d’une réparation aux Canadiens chinois qui ont payé la taxe d’entrée ou qui ont été affectés négativement par les différentes Lois de l’immigration chinoise… Je ne suis pas en désaccord avec l’argument de base des plaignants voulant que la seule abrogation d’une loi discriminatoire, sans réparer ses effets discriminatoires, n’amène pas nécessairement une égalité substantielle pour le groupe ayant été désavantagé ni ne corrige les effets négatifs du traitement discriminatoire. »
Clairement, le seul recours qui restait aux Sino-canadiens sur le Chemin vers la justice était d’obtenir une solution politique permettant de corriger les décennies de discrimination officielle.
La campagne du Dernier crampon
En 2003, l’historien canadien Pierre Berton a donné un crampon cérémonial de chemin de fer à des militants de la cause de la réparation, qui ont emporté l’icône historique dans une tournée du pays dans le cadre de la Campagne du Dernier crampon, ralliant à nouveau le support du public à la demande de réparation.
Deux ans plus tard, l’octogénaire Gim Wong, un ancien combattant de la Deuxième guerre mondiale, dont le père avait payé la taxe d’entrée, a conduit sa motocyclette de Vancouver à la Coline parlementaire, où Paul Martin, le Premier ministre à l’époque, a refusé de le rencontrer.
Le CCNC versus le NCCC
En 2005, le Premier ministre Paul Martin, suivant le conseil de son ministre junior pour les Affaires de l’Asie et du Pacifique, Raymond Chan (Richmond), a décidé de tenter d’arriver à un accord avec un groupe sino-canadien autre que le CCNC. Il s’agissait du National Congress of Chinese Canadians (NCCC, Congrès National des Canadiens Chinois), une organisation créée au début des années 1990. Les leaders du NCCC se sont réunis avec des fonctionnaires pour conclure un accord qui ne donnerait « ni des excuses ni une compensation individuelle », quoique le gouvernement se soit engagé à payer au NCCC 2,500,000$ pour mettre sur pied une Chinese Canadian Community Foundation (Fondation de la communauté sino-canadienne).
Le CCNC était paralysé après avoir été exclu des pourparlers avec le gouvernement libéral de Martin, mais il a continué à mettre de la pression autour de la question. D’autres groupes communautaires, y compris la Coalition des personnes ayant payé la taxe d’entrée de la Colombie-Britannique et la Coalition des Chinois ayant payé la taxe d’entrée et leurs familles de l’Ontario se sont jointes aux efforts et ont remobilisé la communauté autour de la lutte.
En même temps, un projet de loi a été déposé par le député fédéral conservateur Inky Mark (Dauphin-Swan River-Marquette) au Comité permanent du Patrimoine. Le projet de loi C-333, la Loi de reconnaissance et de réparation à l’égard des Canadiens d’origine chinoise, visait à reconnaître, commémorer et à éduquer [les Canadiens] au sujet des torts gouvernementaux passés, tombant très en deçà des excuses exigées par des générations de Sino-canadiens.
Des amendements supplémentaires (voir le document du Projet de loi C-333), adoptés par le Comité (avec le support tant du Parti libéral que du Parti conservateur) lors de sa réunion du 3 novembre 2005, incluaient la clause suivante :
«1.1 Il incombe au gouvernement fédéral d’entamer des négociations avec le National Congress of Chinese Canadians en vue d’en arriver à une entente concernant les mesures qui peuvent être prises pour reconnaître le fait que des immigrants d’origine chinoise ont fait l’objet de mesures d’exclusion de 1885 à 1947.»
La clause amendée éliminait le CCNC,représentant par procuration de plus de 4,000 personnes ayant payé la taxe d’entrée, leurs épouses et familles, de tout pourparler avec le gouvernement autour d’un règlement.
La tempête politique parfaite
La lutte pour le pouvoir entre les Libéraux et les Conservateurs a créé un moment opportun pour les militants de la cause de la réparation lorsque, le 24 novembre 2005, le gouvernement de Martin a perdu la confiance de la Chambre des communes, forçant la dissolution du Parlement et une élection générale, qui devait avoir lieu le 23 janvier 2006.
Les membres de la Coalition des Chinois ayant payé la taxe d’entrée et leurs familles de l’Ontario ont mis de la pression sur des membres seniors du Parti conservateur afin qu’ils empêchent l’adoption du Projet de loi C-333. Les Conservateurs, qui étaient avides de faire des progrès parmi les « communautés ethniques » du Canada, ont utilisé une prérogative procédurale et ont renversé l’ordre de traitement du Projet de loi C-333 et du Projet de loi C-331, un projet de loi visant à reconnaître les torts passés ayant affecté les Canadiens ukrainiens pendant le temps de la guerre. Le résultat a été que cette dernière loi a été adoptée, alors que le projet C-333 est mort suite à une question d’ordre de traitement.
Dans le cadre d’une entrevue avant les élections avec Fairchild Chinese Radio, en décembre 2005, Harper, le leader Tory, a promis d’accorder une compensation individuelle aux victimes directes de la Taxe d’entrée si son parti était élu au gouvernement.
Revitalisé, le CCNC, avec le soutien des Coalitions de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, a mobilisé les Canadiens chinois, et ensemble ils ont rehaussé le profil électoral de la communauté, canalisant sa force politique dans des circonscriptions à travers le Canada. La campagne autour de l’élection fédérale de 2006 a énergisé une nouvelle génération de militants sino-canadiens, et elle a encouragé de nombreux participants communautaires de longue date à renouveler leur implication à la question de la réparation. Pour la première fois, une bonne partie du soutien à la réparation est venue de Sino-canadiens qui étaient des immigrants plus récents, mais qui s’identifiaient aussi au voyage que des Chinois d’une époque antérieure avaient entrepris sur le Chemin vers la justice.