Inégalité en droits
Les personnes chinoises n’ont pas été les seules victimes des lois racistes des premières années du Canada. Des décisions sur le statut, les privilèges et les droits relatifs à « l’extranéité », ou l’origine étrangère, par des tribunaux et par le Conseil privé ont établi des précédents judiciaires pour tous les immigrants asiatiques, particulièrement ceux qui venaient au Canada à partir de ports autour du Pacifique.
Deux cas, Union Colliery v. Bryden (1899) et Cunningham v. Homma (1901), allaient façonner le parcours de la discrimination légiférée à l’encontre des Chinois et des Japonais au Canada, et renforcer d’autres décisions et lois qui affectaient également les Sud-asiatiques et les Premières nations, particulièrement en termes d’exclusion quant au droit de vote.
Union Colliery v. Bryden (1899)
En 1899, les cours de la Colombie-Britannique ont entendu un cas où la Coal Mines Amendment Act (Loi modifiant les règlements des mines de charbon, 1890) a été contestée lorsque John Bryden, un actionnaire d’Union Colliery, a voulu que la compagnie interdise aux Chinois de travailler dans certains postes de confiance et de responsabilité dans ses mines de charbon.
Les modifications de 1890 à la Loi sur les mines de charbon interdisaient aux employeurs d’embaucher des gens chinois pour travailler sous terre dans les mines de charbon. Les dispositions de la Loi étaient supposément basées sur des considérations de sécurité liées au manque de compétences linguistiques en anglais chez les travailleurs chinois.
L’article 4 de la Loi modifiée établissait que : « Aucun garçon de moins de douze ans, et aucune femme ou fille de n’importe quel âge, et aucun Chinaman ne seront employés ni admis à des fins d’emploi à l’intérieur de toute mine à laquelle cette Loi s’applique sous terre. »
Dans Union Colliery v. Bryden, la compagnie a soutenu que le gouvernement provincial avait dépassé son autorité en interdisant l’emploi de gens chinois dans des mines. La question a été tranchée par le Conseil privé, qui a été d’accord avec la compagnie et a abrogé la Coal Mines Amendment Act (Loi modifiant les règlements des mines de charbon).
Dans sa décision, le Conseil privé a déclaré que ses membres étaient « de l’opinion que la moelle et la substance des dispositions de l’article 4 de la Coal Mines Amendment Act… consistent à établir une prohibition statutaire qui affecte des étrangers ou des sujets naturalisés, et qui, par conséquent, empiète sur l’autorité exclusive du Parlement du Canada. »
L’historien Victor Lee observe que : « Le Conseil privé semblait dire, dans ce litige, que le gouvernement fédéral avait la juridiction exclusive sur les lois ciblant les gens chinois au Canada. »
Cunningham v. Homma (1902)
Cependant, dans une contestation judiciaire portée par des membres de la communauté Canadienne japonaise trois ans plus tard au sujet de leur exclusion – et de celle des Chinois et des Premières nations – de la liste électorale de la Colombie-Britannique, le Conseil privé a soutenu que c’était dans les pouvoirs de la province de refuser le droit de vote.
Moins d’un an après s’être jointe à la Confédération, et l’inscrivant comme un élément dans ses premiers ordres du jour en tant que province canadienne, la Colombie-Britannique a adopté sa Qualification and Registration of Voters Act (Loi sur la qualification et sur le registre des électeurs, 1872) qui excluait les « Chinois » et les « Indiens » du droit de vote sur le plan provincial. Au moment où la loi a été adoptée, la population de la province était composée de presque 62% de gens des Premières nations et chinois. Les gens d’origine britannique comptaient pour un peu moins du 30%. En 1896, les « Japonais » ont aussi été exclus de la liste d’électeurs. La privation du droit de voter était basée sur la race.
En 1900, Tomekichi « Tomey » Homma, un Canadien naturalisé de parents japonais, a essayé d’ajouter son nom à la liste d’électeurs de la Colombie-Britannique. Sa tentative a échoué, à cause de la loi électorale discriminatoire. Homma a porté son cas devant les tribunaux et il a obtenu une décision favorable n’ayant pas duré longtemps, qui confirmait le droit des citoyens canadiens naturalisés de voter, sans égard à leur origine ethnique. Le gouvernement provincial a porté l’affaire en appel auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui a confirmé la décision de la cour inférieure. Nullement découragé, le gouvernement a encore interjeté appel devant le Conseil privé, qui était alors le dernier tribunal d’appel au Canada.
Le Conseil privé, dans Cunningham v. Homma (1901), a décidé en faveur du gouvernement et Homma a perdu son cas tout comme son droit de voter.
Privés du droit de voter
La privation, par la Colombie-Britannique, du droit de voter visant les Premiers nations, les Chinois et les Japonais a été réaffirmée dans le cadre d’amendements postérieurs et dans la Provincial Voters’ Act (Loi provinciale sur les électeurs), et elle a été étendue en 1907 aux « Hindous », ou tous les Sud-asiatiques.
Le fait d’être exclus des listes provinciales d’électeurs avait des implications à la portée large pour ces groupes ethniques ou raciaux, car les lois provinciales qui règlementaient beaucoup de professions exigeaient aussi que les candidats soient des personnes aptes à voter. Dans le cas des Chinois, la Colombie-Britannique a continué de les exclure du processus politique, les rendant « des étrangers perpétuels », en interdisant leur participation aux élections municipales voire leur candidature à des postes comme conseillers scolaires.
L’historien Victor Lee poursuit ses analyses de ces décisions du Conseil privé autour des juridictions fédérale et provinciales en signalant que la Loi constitutionnelle du Canada (1867) « donnait au gouvernement fédéral le droit de déterminer ce qui constituera un ‘étranger’ ou ce que c’est que la ‘naturalisation’, (mais) elle ne donnait pas au gouvernement fédéral le droit de déterminer les privilèges qui sont liés à de tels statuts. »
En 1908, la province de la Saskatchewan a aussi privé du droit de voter tous les résidents qui appartenaient à la race chinoise dans An Act respecting Elections of Members of the Legislative Assembly, Saskatchewan (Loi sur l’élection des membres de l’Assemblé législative, 1908).
L’exclusion du droit de voter sur le plan provincial affaiblissait la communauté sino-canadienne (dont beaucoup de membres allaient, des années plus tard, être naturalisés ou nés au Canada) étant donné que, jusqu’en 1948, le Parlement fédéral a basé sa propre loi sur la participation électorale sur l’inclusion dans les listes d’électeurs provinciales.